Constellation en fugue, de Christian Uetz, traduit de l’allemand par Denis Peiron, éditions L’Oreille du loup, Paris, 2008.
(extraits)
Nous voyons notre fin
et déjà anges nous sommes,
plus de ce monde.
Pris congé de tout,
tout observé, une dernière fois,
tout achevé,
et voilà que tout commence.
Nous voyons notre non-être
et sommes déjà présent sans présent,
esprit sans présence.
Et quoi qu’il nous arrive,
tout est déjà vécu.
Et quoi que nous fassions,
tout est déjà parfait.
Nous ne nous bousculons pas vers la vie,
nous basculons dans l’éternité.
Nous ne nous bousculons pas vers l’autre,
nous basculons dans l’autre, dans l’unicité.
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jeudi 19 février 2009
Poésie de Sabine Wang, trad. Denis Peiron
Poèmes de Sabine Wang, traduits de l’allemand par Denis Peiron, éditions Nord-Sud-Passage, Marseille, 2005.
Panoptique
les masseurs aveugles devant le temple de lungshan
l’albinos les infirmes comme au théâtre
pareils à des pêcheurs ils se traînent le long des marchés de nuit
dans une carriole un enfant et quelques petites doses de baume
les belles sont plus belles encore qu’à la maison
les employés de bureau couleur e-mail international
tandis que dans les rues on nourrit de feu et de tables pliantes
les esprits affamés
let’s learn english piaillent des étudiantes instantanées
des expats et des cerveaux nourris au glutamate
et le prof de français venu de Paris fouille son oreille
pour mieux observer la cire au bout de son petit doigt
le regard vague comme la ville les roller boys filent à toute allure
un casque nazi renversé sur la nuque
dans le parc se disputent et les chaises et les joueurs
si vrais qu’on ose à peine les regarder
des travailleurs munis de cordes dressent les arbres comme des tentes
l’habitant de taipei fixe hébété la racine
qui s’élève au-dessus de l’asphalte telle un plateau renversé
et le garçon de café s’est fait la belle
dans le taxi tout contre le ventilateur
tournent les petits hélicoptères les petites hélices
tourne la voisine
qui avec son chiffon cherche à colmater la fuite au plafond
william ce con m’apporte le mahjong
et le propriétaire du magasin souffle court
me montre des exercices de qigong en plein rayon des nouilles
m’explique le monde d’après le lexique du tao
la carapace de la tortue couverte d’algues
les alligators se regardent dans le verre
les chats de taipei dit dawn
i like to touch their feet they are so soft
les rondes cavalières des tang balaient
dans les couloirs les pantoufles des rêveuses
les rouges sous-vêtements des suicidaires
les médées vengeresses les girls à pokemon
dans le quartier japonais les chauffeurs
devant les vitres teintées des boîtes de nuit
oreillettes et limousines
en chemises hawaïennes les piètres tueurs de serpents équipés de micros
tu ne dois pas laisser traîner tes déchets
tu ne dois pas fumer dans les lieux publics
tu ne dois pas faire frire tes rouleaux de printemps devant le musée des beaux-arts
tu ne dois pas laisser ton chien aboyer
ce sont les chiots qui d’abord s’extirpent de la décharge
puis l’homme aux quatre doigts qui récupère les cartons et s’achète de l’eau de vie
dans ce supermarché où la caissière m’interroge sur le montant de mon loyer
monsieur le maire inaugure de nouvelles toilettes
pour un peu ils nous feraient pitié ces cafards
ces fuyards de pavlov avant qu’on ne les broie
et leurs capteurs étonnamment s’agitent en l’air
en une ultime et minuscule protestation
devant l’écran regard sale et cigarette au coin des lèvres
le joueur vide son chargeur
dans son ivresse le marchand d’ail de sa voix enrouée ose un hello
sur le mont des éléphants un blanc épris de démence disperse de la farine
ma cousine plus elle gravit les échelons plus son cul grossit
répète ma tante m’a traînée sans répit à travers la ville
le continent de ma dioptrie
la solitude de la shabu shabu
la pluie la pluie
Panoptique
les masseurs aveugles devant le temple de lungshan
l’albinos les infirmes comme au théâtre
pareils à des pêcheurs ils se traînent le long des marchés de nuit
dans une carriole un enfant et quelques petites doses de baume
les belles sont plus belles encore qu’à la maison
les employés de bureau couleur e-mail international
tandis que dans les rues on nourrit de feu et de tables pliantes
les esprits affamés
let’s learn english piaillent des étudiantes instantanées
des expats et des cerveaux nourris au glutamate
et le prof de français venu de Paris fouille son oreille
pour mieux observer la cire au bout de son petit doigt
le regard vague comme la ville les roller boys filent à toute allure
un casque nazi renversé sur la nuque
dans le parc se disputent et les chaises et les joueurs
si vrais qu’on ose à peine les regarder
des travailleurs munis de cordes dressent les arbres comme des tentes
l’habitant de taipei fixe hébété la racine
qui s’élève au-dessus de l’asphalte telle un plateau renversé
et le garçon de café s’est fait la belle
dans le taxi tout contre le ventilateur
tournent les petits hélicoptères les petites hélices
tourne la voisine
qui avec son chiffon cherche à colmater la fuite au plafond
william ce con m’apporte le mahjong
et le propriétaire du magasin souffle court
me montre des exercices de qigong en plein rayon des nouilles
m’explique le monde d’après le lexique du tao
la carapace de la tortue couverte d’algues
les alligators se regardent dans le verre
les chats de taipei dit dawn
i like to touch their feet they are so soft
les rondes cavalières des tang balaient
dans les couloirs les pantoufles des rêveuses
les rouges sous-vêtements des suicidaires
les médées vengeresses les girls à pokemon
dans le quartier japonais les chauffeurs
devant les vitres teintées des boîtes de nuit
oreillettes et limousines
en chemises hawaïennes les piètres tueurs de serpents équipés de micros
tu ne dois pas laisser traîner tes déchets
tu ne dois pas fumer dans les lieux publics
tu ne dois pas faire frire tes rouleaux de printemps devant le musée des beaux-arts
tu ne dois pas laisser ton chien aboyer
ce sont les chiots qui d’abord s’extirpent de la décharge
puis l’homme aux quatre doigts qui récupère les cartons et s’achète de l’eau de vie
dans ce supermarché où la caissière m’interroge sur le montant de mon loyer
monsieur le maire inaugure de nouvelles toilettes
pour un peu ils nous feraient pitié ces cafards
ces fuyards de pavlov avant qu’on ne les broie
et leurs capteurs étonnamment s’agitent en l’air
en une ultime et minuscule protestation
devant l’écran regard sale et cigarette au coin des lèvres
le joueur vide son chargeur
dans son ivresse le marchand d’ail de sa voix enrouée ose un hello
sur le mont des éléphants un blanc épris de démence disperse de la farine
ma cousine plus elle gravit les échelons plus son cul grossit
répète ma tante m’a traînée sans répit à travers la ville
le continent de ma dioptrie
la solitude de la shabu shabu
la pluie la pluie
Critiques, Blancheur de l'exil, Denis Peiron
« J'ai retrouvé dans ce recueil ce que j'aime par-dessus tout en poésie : la simplicité, l'éloignement du bavardage, un acte de confiance vis-à-vis du langage. Je crois que de tels actes de confiance, si discrets qu’ils paraissent, appartiennent au plus urgent, au plus nécessaire. »
Michel Crépu
La Revue des deux mondes
« Denis Peiron a choisi l’économie des mots pour nous entraîner à sa suite sur les chemins de l’exil. Un exil qui loin d’être seulement géographique nous mène sur les pas de l’homme seul. L’homme « à l’identité violée » par un éloignement physique ou psychique, violé par le regard de l’autre qui sans le savoir ou le vouloir le façonne à sa manière. Pas de lyriques envolées ici. Mais le mot juste. Celui qui vient vous murmurer à l’oreille une histoire qui est avant tout la vôtre. Celle de vos propres pas dans un monde où finalement chaque être humain est un exilé. Denis Peiron en appelle ici à la mémoire. La sienne, et celle des autres. »
Josefa Martinez
La Marseillaise
« Denis Peiron se distingue dans le domaine de la « poésie blanche », qui dit essentiellement le manque, l’absence, l’instant, l’éphémère, et se caractérise par ses mots rares cernés de vaste silence (chaque mot est comme arraché à la blancheur désertique de la page). Ici, en de brèves inscriptions sans majuscule ni ponctuation, Denis Peiron rejoint parfois Saint-John Perse (« aux geôles humides / des pleureuses / le temps ne livre / que mirages ») ou Pierre Reverdy (« sous la passerelle de l’aube / je me tisse le souvenir / d’une étoile / écartelée »). Cette poésie sans bavardage, étalage, est quête initiatique, mystique, et refuse les limites du présent, de l’actualité immédiate : superbe contrepoint paradoxal pour un auteur par ailleurs journaliste professionnel… »
Daniel Fano
Le Ligueur (Bruxelles)
« Blancheur de l’exil atteste d’une réelle sensibilité. L’auteur en livre une clé dans sa postface : « Les mots mènent une existence éclatée, de la matérialité des lettres à l’ambivalence des sons. » Ses courts poèmes se lisent avec un plaisir délectable. Le maniement des mots, dans une forme épurée, donne de l’élégance à ce recueil. »
Pascal Gavillet
La Tribune de Genève
Weisse des Exils, Denis Peiron, trad. Christian Uetz
Weisse des Exils, extraits, traduction de Christian Uetz, éditions Nord-Sud-Passage / Le Mot et le reste, Marseille, 2004.
weisstraum
leeres bett
die laken geschlissen
von einer geschichte ohne geschichte
ein blutfleck
von neuem
vollzieht das exil
(...)
*
zahl-reiche namen
städte
blumen
steine
pollen-namen
tau an den lidern
staub-namen
die sanduhr umgeworfen
tragen im schatten
das unendliche der wurzeln
den unentzifferbaren plan
(...)
*
von euch zu mir
die schmalen dünen
eines schweigens
eines nach dem anderen
bringe ich die wörter hervor
die mich zurückhalten
sinn-körner
die ein hauch
trägt und verstreut
*
flut-passage
von einer sprache zur anderen
ein gesamter text setzt sich erneut in gang
auf den eindringlichen ruf
verlasse ich den rand
und in seinem körper
befreit
löse mich auf
*
wiedereroberung
im inneren
ich breche durch das weiss
wie der frühling seine blumen hervortreibt
weisstraum
leeres bett
die laken geschlissen
von einer geschichte ohne geschichte
ein blutfleck
von neuem
vollzieht das exil
(...)
*
zahl-reiche namen
städte
blumen
steine
pollen-namen
tau an den lidern
staub-namen
die sanduhr umgeworfen
tragen im schatten
das unendliche der wurzeln
den unentzifferbaren plan
(...)
*
von euch zu mir
die schmalen dünen
eines schweigens
eines nach dem anderen
bringe ich die wörter hervor
die mich zurückhalten
sinn-körner
die ein hauch
trägt und verstreut
*
flut-passage
von einer sprache zur anderen
ein gesamter text setzt sich erneut in gang
auf den eindringlichen ruf
verlasse ich den rand
und in seinem körper
befreit
löse mich auf
*
wiedereroberung
im inneren
ich breche durch das weiss
wie der frühling seine blumen hervortreibt
Blancheur de l'exil, Denis Peiron
Blancheur de l’exil, Denis Peiron, préface de Marc-Alain Ouaknin, éditions Caractères, 2004, Paris.
(extraits)
hors de moi
hors du temps
une halte
comme un pré-texte
à l’écriture
la blancheur de l’exil
*
jusqu’au non-lieu
minute après minute
je défais
le procès
du temps
*
balbutiements
d’une mémoire
longtemps restée
sans voix
pétrifiée
comme interdite
*
au commencement
l’exil
sa signature au firmament
lumière
qui scelle
la ronde des jours
*
au commencement
j’enracine
le souvenir
fait mien
lui offre
l’écrin
de ces terres désolées
l’irrigue
d’un sang mêlé
(…)
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(extraits)
hors de moi
hors du temps
une halte
comme un pré-texte
à l’écriture
la blancheur de l’exil
*
jusqu’au non-lieu
minute après minute
je défais
le procès
du temps
*
balbutiements
d’une mémoire
longtemps restée
sans voix
pétrifiée
comme interdite
*
au commencement
l’exil
sa signature au firmament
lumière
qui scelle
la ronde des jours
*
au commencement
j’enracine
le souvenir
fait mien
lui offre
l’écrin
de ces terres désolées
l’irrigue
d’un sang mêlé
(…)
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Denis Peiron en quelques mots
Denis Peiron, né en 1973 à Marseille, est poète et traducteur. Il compte à son actif de nombreuses lectures (Marseille, Reims, Berlin, Nancy, Aix-en-Provence…), l’animation d’ateliers d’écriture, ainsi que des collaborations avec le photographe Marc Torrès (expositions) et la graveuse Marie-Christine Bourven (livres d’artiste). Denis Peiron est par ailleurs journaliste. Après avoir été correspondant à Varsovie, puis Marseille, il dirige aujourd’hui l’entité Société du quotidien La Croix. Il est l'auteur, avec Joanna Peiron, d'un livre d'entretiens avec la pédopsychiatre Marie Rose Moro, Enfants de l'immigration, une chance pour l'école, éditions Bayard, février 2012.
Contact : denispeiron@gmail.com
Contact : denispeiron@gmail.com
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