jeudi 19 février 2009

Poésie de Sabine Wang, trad. Denis Peiron

Poèmes de Sabine Wang, traduits de l’allemand par Denis Peiron, éditions Nord-Sud-Passage, Marseille, 2005.


Panoptique


les masseurs aveugles devant le temple de lungshan

l’albinos les infirmes comme au théâtre

pareils à des pêcheurs ils se traînent le long des marchés de nuit

dans une carriole un enfant et quelques petites doses de baume


les belles sont plus belles encore qu’à la maison

les employés de bureau couleur e-mail international

tandis que dans les rues on nourrit de feu et de tables pliantes

les esprits affamés


let’s learn english piaillent des étudiantes instantanées

des expats et des cerveaux nourris au glutamate

et le prof de français venu de Paris fouille son oreille

pour mieux observer la cire au bout de son petit doigt


le regard vague comme la ville les roller boys filent à toute allure

un casque nazi renversé sur la nuque

dans le parc se disputent et les chaises et les joueurs

si vrais qu’on ose à peine les regarder


des travailleurs munis de cordes dressent les arbres comme des tentes

l’habitant de taipei fixe hébété la racine

qui s’élève au-dessus de l’asphalte telle un plateau renversé

et le garçon de café s’est fait la belle


dans le taxi tout contre le ventilateur

tournent les petits hélicoptères les petites hélices

tourne la voisine

qui avec son chiffon cherche à colmater la fuite au plafond


william ce con m’apporte le mahjong

et le propriétaire du magasin souffle court

me montre des exercices de qigong en plein rayon des nouilles

m’explique le monde d’après le lexique du tao


la carapace de la tortue couverte d’algues

les alligators se regardent dans le verre

les chats de taipei dit dawn

i like to touch their feet they are so soft


les rondes cavalières des tang balaient

dans les couloirs les pantoufles des rêveuses

les rouges sous-vêtements des suicidaires

les médées vengeresses les girls à pokemon


dans le quartier japonais les chauffeurs

devant les vitres teintées des boîtes de nuit

oreillettes et limousines

en chemises hawaïennes les piètres tueurs de serpents équipés de micros


tu ne dois pas laisser traîner tes déchets

tu ne dois pas fumer dans les lieux publics

tu ne dois pas faire frire tes rouleaux de printemps devant le musée des beaux-arts

tu ne dois pas laisser ton chien aboyer


ce sont les chiots qui d’abord s’extirpent de la décharge

puis l’homme aux quatre doigts qui récupère les cartons et s’achète de l’eau de vie

dans ce supermarché où la caissière m’interroge sur le montant de mon loyer

monsieur le maire inaugure de nouvelles toilettes


pour un peu ils nous feraient pitié ces cafards

ces fuyards de pavlov avant qu’on ne les broie

et leurs capteurs étonnamment s’agitent en l’air

en une ultime et minuscule protestation


devant l’écran regard sale et cigarette au coin des lèvres

le joueur vide son chargeur

dans son ivresse le marchand d’ail de sa voix enrouée ose un hello

sur le mont des éléphants un blanc épris de démence disperse de la farine


ma cousine plus elle gravit les échelons plus son cul grossit

répète ma tante m’a traînée sans répit à travers la ville

le continent de ma dioptrie

la solitude de la shabu shabu

la pluie la pluie

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