L’écrivain de Manosque n’est plus là pour nous guider dans le
haut-pays. Mais c’est escorté de ses personnages que l’on parcourt à
livre ouvert les chemins de cette Provence demeurée farouche.
Ce sentier odorant tout violet de lavande, Giono l’a,
dit-on, usé de ses souliers. Jusqu’à la fin des années 1930, tandis que
la guerre approchait à grands pas, l’écrivain pacifiste y emmenait amis
et admirateurs pour de longues randonnées dans les plis et replis de
Lure, sa montagne.
Chemin faisant, il donnait lecture des paysages, les replaçait dans tel ou tel de ses romans, à l’attention de ce fameux cercle des Contadouriens, nommés ainsi en écho au hameau, Le Contadour, que l’on vient de laisser dans notre dos.
Se
glisser dans les pas de Giono, c’est marcher escorté d’une foule de
personnages. À tout moment l’on s’attend à croiser dans sa fuite, tel « un épi d’or sur un cheval noir », Angelo, LeHussard sur le toit, filant vers le pas de Redortiers, tout proche. Et l’on se demande si, comme dans Regain, au détour d’une pinède, l’un des arbres – en réalité une vieillarde habillée de branchages – va se mettre à faire « hop ! ».
Tout
cela, c’est dans le livre. Dans le film aussi, une adaptation de 1937
signée Marcel Pagnol, avec Fernandel et Orane Demazis. Mais aujourd’hui,
sur notre chemin, pas d’Angelo ni de Mamèche. En trois heures de
marche, on ne croisera d’ailleurs pas la moindre âme qui vive.
On imagine sans mal la solitude éprouvée dans ce haut-pays, à plus de 1 000 mètres d’altitude, du temps de Giono, quand l’hiver mordait à pleines dents. L’œuvre de cet écrivain est jalonnée de tête-à-tête avec la nature, farouche et belle, hostile et terrifiante parfois, quand dans son premier roman (2), la colline, comme animée de noirs desseins, pousse les villageois à se débarrasser du seul d’entre eux qui semble la comprendre.
À dire vrai, notre itinéraire, l’un des quinze proposés par Jean-Louis Carribou dans un indispensable guide (3), n’est pas vierge de traces d’activité humaine, passée ou présente. Mais c’est la pierre qui parle pour l’homme. Ici, une bergerie. Là une cabane, humble abri du berger. Toutes deux construites sans le moindre liant, en pierre sèche narguant l’apesanteur par la grâce de la voûte.
La pierre, encore. Sèche, toujours, empilée par des mains savantes. Celle des cairns, qui indiquent le chemin quand la neige efface au sol les balises de couleur. Deux d’entre eux impressionnent par leur taille, qu’aucun géant n’égale : l’Anti-Pape, puis le Pape, dressé sur la crête, à la barbe du vent.
Un nom magique à l’oreille du petit Giono. « J’avais 7 ans quand, pour la première fois, j’entendis parler de cette montagne (…), je me répétais à haute voix : Lure ! J’écoutais le son du mot, j’écoutais le mot tinter sur l’écho du mur, et, aussitôt, la tête pleine d’herbages, le jeu recommençait. Lure ! », raconte-t-il dans la présentation de Pan.
Cette montagne, somme toute modeste (1 826 mètres d’altitude) quand on la compare aux cimes enneigées du Dévoluy campées dans son prolongement, le futur écrivain la découvrira vraiment à l’âge de onze ans.
Ce périple, confie encore l’auteur, a débuté par un trajet en diligence, de Manosque à Banon, paisible village perché que l’on ne manquera pas de saluer sur notre route du retour. Un lieu presque familier quand bien même on y met les pieds pour la première fois.
Car
c’est à la foire de Banon que Panturle vient vendre son blé, symbole de
renaissance. à l’hospice de Banon que s’éteint doucement L’homme qui plantait des arbres, un
certain Elzéard Bouffier, né de la seule plume de l’écrivain mais qui a
donné son nom au chemin qui aujourd’hui, tout là-haut, près de
l’église, conduit au cimetière communal.
Banon offre un point de départ à une boucle de 152 kilomètres autour de Lure, à la découverte de bien d’autres paysages romanesques, sur ce qui pourrait devenir bientôt officiellement la « route Jean-Giono ».
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Un chantre de la nature
Né à Manosque en 1895 d’un père cordonnier, italien d’origine, et d’une mère repasseuse, Jean Giono traverse la Première Guerre mondiale comme simple soldat. Cette expérience traumatisante l’incite à adopter ensuite des positionnements pacifistes. Y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, où il publie dans des journaux collaborationnistes. Ses proches affirment cependant qu’il a aussi, durant cette période, caché des communistes et des juifs.
Un temps employé de banque, Giono consacre la majeure partie de sa vie à la littérature. Extrêmement attaché à la Haute-Provence, influencé aussi par l’héritage de la Grèce antique, il livre une œuvre d’une grande richesse dans laquelle la nature et les arbres en particulier, ainsi que le monde paysan, occupent une place de choix.
Parmi ses ouvrages les plus lus : Regain (1930), Un roi sans divertissement (1947), Le Hussard sur le toit (1951). Giono est élu à l’Académie Goncourt en 1954. Il mourra dans sa maison de Manosque en 1970.
Denis Peiron
Paru dans La Croix le 15 juillet 2016Chemin faisant, il donnait lecture des paysages, les replaçait dans tel ou tel de ses romans, à l’attention de ce fameux cercle des Contadouriens, nommés ainsi en écho au hameau, Le Contadour, que l’on vient de laisser dans notre dos.
Quand l’hiver mordait à pleines dents...
La Mamèche – c’est le nom de cette Piémontaise aux airs de sorcière – use de ce subterfuge pour effrayer le rémouleur Gédémus et sa compagne d’infortune, Arsule. Elle les pousse à improviser un autre chemin qui les conduira aux abords d’Aubignane (1). Tandis que Gédémus poursuivra sa route, Arsule, elle, restera auprès de Panturle, le tout dernier habitant de ce village, qui à force d’amour finira par renaître.On imagine sans mal la solitude éprouvée dans ce haut-pays, à plus de 1 000 mètres d’altitude, du temps de Giono, quand l’hiver mordait à pleines dents. L’œuvre de cet écrivain est jalonnée de tête-à-tête avec la nature, farouche et belle, hostile et terrifiante parfois, quand dans son premier roman (2), la colline, comme animée de noirs desseins, pousse les villageois à se débarrasser du seul d’entre eux qui semble la comprendre.
Le Pape et l’Anti-Pape
À l’écart des routes carrossables, c’est un quasi-désert, nous dit encore l’écrivain dans Ennemonde et autres caractères. « Certaines fermes sont à dix ou vingt kilomètres de leur voisin le plus proche ; souvent, c’est un homme seul qui devrait faire ces kilomètres pour rencontrer un homme seul, il ne les fait pas de toute sa vie », écrit-il.À dire vrai, notre itinéraire, l’un des quinze proposés par Jean-Louis Carribou dans un indispensable guide (3), n’est pas vierge de traces d’activité humaine, passée ou présente. Mais c’est la pierre qui parle pour l’homme. Ici, une bergerie. Là une cabane, humble abri du berger. Toutes deux construites sans le moindre liant, en pierre sèche narguant l’apesanteur par la grâce de la voûte.
La pierre, encore. Sèche, toujours, empilée par des mains savantes. Celle des cairns, qui indiquent le chemin quand la neige efface au sol les balises de couleur. Deux d’entre eux impressionnent par leur taille, qu’aucun géant n’égale : l’Anti-Pape, puis le Pape, dressé sur la crête, à la barbe du vent.
Un panorama de Sainte-Victoire au Ventoux
S’attarder en sa compagnie. Les yeux grands ouverts. Et tourner sur soi-même. Faire tout un tour pour embrasser un rare panorama. Sainte-Victoire, au sud, tourne le dos aux Alpes, tandis que le Ventoux cher à Pétrarque dialogue avec cette autre montagne qui lui ressemble, celle qu’en vain on guettait depuis le début de notre randonnée : Lure.Un nom magique à l’oreille du petit Giono. « J’avais 7 ans quand, pour la première fois, j’entendis parler de cette montagne (…), je me répétais à haute voix : Lure ! J’écoutais le son du mot, j’écoutais le mot tinter sur l’écho du mur, et, aussitôt, la tête pleine d’herbages, le jeu recommençait. Lure ! », raconte-t-il dans la présentation de Pan.
Cette montagne, somme toute modeste (1 826 mètres d’altitude) quand on la compare aux cimes enneigées du Dévoluy campées dans son prolongement, le futur écrivain la découvrira vraiment à l’âge de onze ans.
« Le voyage le plus long »
Comme il le raconte à Jean Carrière dans une interview radiophonique de 1965, son père, bien décidé à l’extraire des jupes de sa mère, lui donne 5 francs et lui propose de faire avec cet argent « le voyage le plus long » possible. Se joignant à des maquignons rencontrés dans une auberge et qui font route vers la Drôme, il franchit à dos de mule, au petit matin, cette « montagne libre et neuve qui vient à peine d’émerger du déluge ».Ce périple, confie encore l’auteur, a débuté par un trajet en diligence, de Manosque à Banon, paisible village perché que l’on ne manquera pas de saluer sur notre route du retour. Un lieu presque familier quand bien même on y met les pieds pour la première fois.
Banon offre un point de départ à une boucle de 152 kilomètres autour de Lure, à la découverte de bien d’autres paysages romanesques, sur ce qui pourrait devenir bientôt officiellement la « route Jean-Giono ».
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Un chantre de la nature
Né à Manosque en 1895 d’un père cordonnier, italien d’origine, et d’une mère repasseuse, Jean Giono traverse la Première Guerre mondiale comme simple soldat. Cette expérience traumatisante l’incite à adopter ensuite des positionnements pacifistes. Y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, où il publie dans des journaux collaborationnistes. Ses proches affirment cependant qu’il a aussi, durant cette période, caché des communistes et des juifs.
Un temps employé de banque, Giono consacre la majeure partie de sa vie à la littérature. Extrêmement attaché à la Haute-Provence, influencé aussi par l’héritage de la Grèce antique, il livre une œuvre d’une grande richesse dans laquelle la nature et les arbres en particulier, ainsi que le monde paysan, occupent une place de choix.
Parmi ses ouvrages les plus lus : Regain (1930), Un roi sans divertissement (1947), Le Hussard sur le toit (1951). Giono est élu à l’Académie Goncourt en 1954. Il mourra dans sa maison de Manosque en 1970.
Denis Peiron
(1) Nom imaginaire qui mêle ceux de deux villages de la région, distants de plus de 80 kilomètres, Aubignosc et Simiane.
(2) Colline (1929).
(3) Quinze balades littéraires à la rencontre de Jean Giono. Tome 2 . Montagne de Lure, photographies de François-Xavier Emery, éd. Le bec en l’air, 2012. En vente notamment au Centre Jean-Giono, à Manosque.
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