Gravir le mont Ventoux dans les pas de Pétrarque, c’est aller, corps et âme, contre la pente, accompagner le poète médiéval dans une quête augustinienne d’élévation et de vertu.
On les voit nombreux, sur leur monture, monter,
monter, monter encore. Sifflotant d’abord, puis soufflant, souffrant
carrément. Les noms de leurs héros s’étalent en grosses lettres
blanches, tracées en travers de la route, à même l’asphalte.
Eux
ne sont pas venus chercher Pétrarque. Et pourtant, on leur prêterait
volontiers quelque parenté avec le poète, laissant dans son dos l’accort
village de Malaucène pour se lancer, par une claire journée
d’avril 1336, dans une aventure alors insensée, l’ascension du mont
Ventoux.
Nul doute que, pour aller ainsi contre la pente, ils nourrissent comme lui, depuis l’enfance, fascination et respect pour ce géant qui de très loin s’impose à notre vue.
Sur place, les sapins et les hêtres, décimés à la fin du XIXe, ont fait, depuis, leur réapparition aux côtés des pins à cornets, donnant à voir un peu du paysage primitif que l’écrivain toscan a découvert lors de son « excursion », racontée dans une missive au moine et ami Dionigi de Roberti (1).
Indiquée à contrecœur, avec force préventions, par un berger sans âge, la sente incertaine mangée par les ronces a fait place à un vrai sentier (2). Mais les flancs septentrionaux du Ventoux n’en sont pas moins abrupts. Et si les balises n’étaient là pour nous ramener dans le droit chemin, l’on serait tenté, comme Pétrarque, de rallonger le parcours dans le seul but d’esquiver la difficulté.Les lieux, en tout cas, sont restés suffisamment sauvages pour déployer au-dessus de notre tête le noble vol d’un couple d’aigles et nous offrir, inespérée, la brève rencontre d’un chamois.
Tous les guides l’affirment, le Ventoux, c’est la Provence. Un nom qui évoque à la fois le souffle du mistral et la douceur de vivre. La Provence, donc. Mais aussi autre chose de plus haut, de plus frais, de plus âpre. Comme un avant-goût des Alpes, qui nous apparaissent maintenant dans leur scintillement éternel.
L’hiver, la montagne de Pétrarque connaît, elle aussi, la neige. Dans un saisissant trompe-l’œil, son sommet de pierre en prolonge d’ailleurs la blancheur jusqu’au cœur de l’été. Et précisément, nous voici sorti de la forêt, enfin face à l’étendue minérale et silencieuse, dans un effort propice à l’introspection.
C’est aussi et surtout que l’ascension du mont Ventoux – cousin de l’Athos et de l’Olympe – est élévation de l’âme, quête de vertu, transcendance.
Sélectionnant avec soin une personne capable de s’accorder à son pas et à son dessein, Pétrarque entraîne dans l’aventure son jeune frère. Mais on découvre bien vite au fil des pages que son véritable compagnon, celui qui chemine avec ses pensées, est en réalité saint Augustin.
Nul doute que, pour aller ainsi contre la pente, ils nourrissent comme lui, depuis l’enfance, fascination et respect pour ce géant qui de très loin s’impose à notre vue.
Les flancs abrupts du mont chauve
Passons les cyclistes. Doublons-les pour mieux nous laisser doubler ensuite, lorsque, abandonnant notre véhicule au mont Serein, nous nous enfoncerons dans l’ombre de la forêt pour gravir le dernier tronçon – cinq cents mètres de dénivelé – dans les pas des Pétrarque.Sur place, les sapins et les hêtres, décimés à la fin du XIXe, ont fait, depuis, leur réapparition aux côtés des pins à cornets, donnant à voir un peu du paysage primitif que l’écrivain toscan a découvert lors de son « excursion », racontée dans une missive au moine et ami Dionigi de Roberti (1).
Indiquée à contrecœur, avec force préventions, par un berger sans âge, la sente incertaine mangée par les ronces a fait place à un vrai sentier (2). Mais les flancs septentrionaux du Ventoux n’en sont pas moins abrupts. Et si les balises n’étaient là pour nous ramener dans le droit chemin, l’on serait tenté, comme Pétrarque, de rallonger le parcours dans le seul but d’esquiver la difficulté.Les lieux, en tout cas, sont restés suffisamment sauvages pour déployer au-dessus de notre tête le noble vol d’un couple d’aigles et nous offrir, inespérée, la brève rencontre d’un chamois.
Tous les guides l’affirment, le Ventoux, c’est la Provence. Un nom qui évoque à la fois le souffle du mistral et la douceur de vivre. La Provence, donc. Mais aussi autre chose de plus haut, de plus frais, de plus âpre. Comme un avant-goût des Alpes, qui nous apparaissent maintenant dans leur scintillement éternel.
L’hiver, la montagne de Pétrarque connaît, elle aussi, la neige. Dans un saisissant trompe-l’œil, son sommet de pierre en prolonge d’ailleurs la blancheur jusqu’au cœur de l’été. Et précisément, nous voici sorti de la forêt, enfin face à l’étendue minérale et silencieuse, dans un effort propice à l’introspection.
Cousin de l’Athos et de l’Olympe
Car si la lettre de Pétrarque nous est parvenue par-delà les siècles, ce n’est pas que le poète y narre son exploit. C’est qu’il met à profit cette expédition pour prendre de la hauteur et relire les dix ans de sa vie qui le séparent de son départ de Bologne, relecture encouragée par l’appel voisin des blanches cimes alpines au-delà desquelles incline son cœur.C’est aussi et surtout que l’ascension du mont Ventoux – cousin de l’Athos et de l’Olympe – est élévation de l’âme, quête de vertu, transcendance.
Sélectionnant avec soin une personne capable de s’accorder à son pas et à son dessein, Pétrarque entraîne dans l’aventure son jeune frère. Mais on découvre bien vite au fil des pages que son véritable compagnon, celui qui chemine avec ses pensées, est en réalité saint Augustin.
L’écrivain porte sur lui une édition des Confessions qui
lui a été offerte par Dionigi de Roberti. Et l’idée lui vient de
l’ouvrir au hasard – lequel fait bien les choses – pour en donner
lecture à son cadet.« Et les hommes s’en vont admirer les
hauts sommets, les immenses houles marines, les fleuves au large cours,
l’Océan qui tout embrasse, les révolutions des astres ; et ils se
laissent eux-mêmes à l’abandon ! », déplore ce père de l’Église.
L’ascension, dès lors, se fait conversion. Du sommet, aujourd’hui coiffé d’un observatoire météorologique perché à 1 911 mètres d’altitude, on tutoie avec ravissement le Rhône, qui serpente à nos pieds, on plonge du regard dans la rade de Marseille, on imagine plus qu’on ne les voit les crêtes des Pyrénées.
« Ma visite en montagne m’avait vraiment comblé. J’ai alors tourné mon regard à l’intérieur de moi-même », écrit-il. En vue, ce qu’il nomme le « bonheur authentique », un Ventoux de l’esprit, toujours recommencé.
« Puissé-je plutôt parcourir ce chemin, auquel mes nuits et mes jours aspirent, avec le même cœur qui m’a fait vaincre aujourd’hui ses difficultés physiques, et amené mes pieds au bord de la route ! », médite-t-il, à l’adresse de son ami, membre de l’ordre des ermites de Saint-Augustin.
Sur la pente du retour, on ne peut s’empêcher de se demander quelle lettre nous rédigerions, quelle lettre vous rédigeriez, à l’heure des MMS et autres messages millimétrés, pour conter à un être cher pareille ascension aux côtés de Pétrarque et en tirer, pourquoi pas, toute la sève allégorique.
Le poète dit avoir pris la plume à peine rentré à Malaucène, sur le coin de table d’une auberge, de peur que ses « impressions » ne s’altèrent. En fait, estiment les spécialistes, cette lettre passée à la postérité a sans doute été rédigée deux décennies plus tard.
Si Pétrarque – qui a plaisir à entremêler vie et œuvre, quitte à brouiller les pistes – l’a datée de 1336, c’est probablement que l’écrivain avait, cette année-là, 32 ans. L’âge auquel saint Augustin lui-même s’était converti, après la lecture bouleversante de Cicéron.
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L’un des premiers humanistes
Né en 1304 à Arezzo, en Toscane, Francesco Petrarca, en français Pétrarque, est un poète et érudit, considéré comme l’un des premiers humanistes. Enfant, il suit ses parents dans leur exil politique à Avignon, où le pape vient de s’installer.
Ses études le mènent à Montpellier puis Bologne. À la mort de son père, il s’oriente vers une carrière ecclésiastique et reçoit les ordres mineurs. Mais le 6 avril 1327, un Vendredi saint, en l’église Sainte-Claire il aperçoit Laure de Noves, une jeune femme à qui il vouera un amour platonique et qui sera pour lui une grande source d’inspiration poétique.
Pétrarque s’établit à Vaucluse en 1337, tout en continuant à voyager. L’écrivain meurt à sa table de travail en 1374 à Arqua, devenue Arqua Petrarca, en Vénétie. On lui doit de nombreuses œuvres, dont Lettres familières, L’Afrique et Canzoniere.
Denis Peiron
(1)
L’Ascension du mont Ventoux, Éd. Mille et une nuits, 2001. Une très
belle édition bilingue français-latin est aussi disponible au Musée
Pétrarque de Fontaine-de-Vaucluse.L’ascension, dès lors, se fait conversion. Du sommet, aujourd’hui coiffé d’un observatoire météorologique perché à 1 911 mètres d’altitude, on tutoie avec ravissement le Rhône, qui serpente à nos pieds, on plonge du regard dans la rade de Marseille, on imagine plus qu’on ne les voit les crêtes des Pyrénées.
« J’ai tourné mon regard à l’intérieur de moi-même »
Plus près, dûment signalée sur la table d’orientation, se niche Fontaine-de-Vaucluse. Dans sa lettre, l’écrivain ne fait pas mention de ce qu’il décrit, ailleurs, comme « un asile de liberté ».« Ma visite en montagne m’avait vraiment comblé. J’ai alors tourné mon regard à l’intérieur de moi-même », écrit-il. En vue, ce qu’il nomme le « bonheur authentique », un Ventoux de l’esprit, toujours recommencé.
« Puissé-je plutôt parcourir ce chemin, auquel mes nuits et mes jours aspirent, avec le même cœur qui m’a fait vaincre aujourd’hui ses difficultés physiques, et amené mes pieds au bord de la route ! », médite-t-il, à l’adresse de son ami, membre de l’ordre des ermites de Saint-Augustin.
Sur la pente du retour, on ne peut s’empêcher de se demander quelle lettre nous rédigerions, quelle lettre vous rédigeriez, à l’heure des MMS et autres messages millimétrés, pour conter à un être cher pareille ascension aux côtés de Pétrarque et en tirer, pourquoi pas, toute la sève allégorique.
Le poète dit avoir pris la plume à peine rentré à Malaucène, sur le coin de table d’une auberge, de peur que ses « impressions » ne s’altèrent. En fait, estiment les spécialistes, cette lettre passée à la postérité a sans doute été rédigée deux décennies plus tard.
Si Pétrarque – qui a plaisir à entremêler vie et œuvre, quitte à brouiller les pistes – l’a datée de 1336, c’est probablement que l’écrivain avait, cette année-là, 32 ans. L’âge auquel saint Augustin lui-même s’était converti, après la lecture bouleversante de Cicéron.
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L’un des premiers humanistes
Né en 1304 à Arezzo, en Toscane, Francesco Petrarca, en français Pétrarque, est un poète et érudit, considéré comme l’un des premiers humanistes. Enfant, il suit ses parents dans leur exil politique à Avignon, où le pape vient de s’installer.
Ses études le mènent à Montpellier puis Bologne. À la mort de son père, il s’oriente vers une carrière ecclésiastique et reçoit les ordres mineurs. Mais le 6 avril 1327, un Vendredi saint, en l’église Sainte-Claire il aperçoit Laure de Noves, une jeune femme à qui il vouera un amour platonique et qui sera pour lui une grande source d’inspiration poétique.
Pétrarque s’établit à Vaucluse en 1337, tout en continuant à voyager. L’écrivain meurt à sa table de travail en 1374 à Arqua, devenue Arqua Petrarca, en Vénétie. On lui doit de nombreuses œuvres, dont Lettres familières, L’Afrique et Canzoniere.
Denis Peiron
(2) Le GR 9.
Paru dans La Croix le 11 juillet 2016
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